Par une décision du 13 janvier 2023 (CE 13 janv. 2023, n° 450446, Lebon T.) le Conseil d’État rappelle que tout projet de construction nouvelle n’est pas une « création architecturale » et que, par suite, le bâtiment projeté doit pouvoir s’insérer dans le tissu urbain.
S’agissant des faits, la Ville de Paris souhaitait autoriser l’implantation d’un ensemble immobilier rue ERLANGER, dans le XVIème arrondissement de PARIS, projet porté par Paris Habitat. Ce projet, imposant, visait à la création d’une crèche, de soixante logements locatifs ainsi que de vingt-cinq studios. Le tribunal administratif, juge du fond, l’avait jugé inadapté et trop dense pour les lieux.
Le tribunal administratif de Paris avait ainsi annulé, en janvier 2021, l’arrêté de la maire de Paris délivrant à Paris Habitat un permis de construire en vue de la construction de ce projet immobilier au croisement de la rue ERLANGER et du boulevard EXELMANS.
La Ville de Paris et Paris Habitat s’étaient pourvus en cassation contre ce jugement.
Dans sa décision, le Conseil d’État rappelle que le plan local d’urbanisme de la ville de Paris à son article UG 11, permettait au maire de délivrer une autorisation de construire en vue d’édifier une construction nouvelle présentant « une composition différente de celle des bâtiments voisins et recourant à des matériaux et teintes innovants, dès lors qu’elle peut s’insérer dans le tissu urbain existant », étant précisé que ces prescriptions ont le même objet que les dispositions de l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme, lequel vise à préserver le tissu urbain de constructions nouvelles trop en rupture avec ce dernier (voir infra).
Sur le fond, le Conseil d’État confirme le jugement du tribunal administratif de Paris en tant qu’il a considéré que les constructions « imposantes » en béton projetées entraîneraient la densification massive d’une parcelle offrant jusqu’alors « un espace de respiration et de verdure dans le quartier » et que, de surcroît, elles n’exprimaient aucune création architecturale.
La végétalisation des toits ne permettait pas non plus de retenir le caractère innovant du projet, pourtant autorisé par le PLU.
La Haute Juridiction de conclure, sur ce point, que le tribunal administratif n’était pas tenu de regarder « tout projet de construction nouvelle comme exprimant, pour ce seul motif, une création architecturale, ni de regarder toute innovation comme caractérisant, par elle-même, un projet innovant », si bien que le tribunal administratif de Paris n’a finalement commis ni erreur de droit, ni dénaturation des faits.
D’un point de vue procédural, et de manière plus anecdotique, le juge de cassation censure cependant deux motifs retenus par les juges du fond tout en rejetant le pourvoi de la Ville de Paris et de Paris Habitat.
Cette décision, d’une part, permet au Conseil d’État de rappeler que tout projet de construction nouvelle ne constitue pas une création architecturale en soi ni que toute innovation architecturale ne permet de caractériser un projet d’innovant et, d’autre part, lui offre l’occasion de reconsidérer l’office du juge de l’excès de pouvoir lorsque ce dernier est confronté à un PLU prévoyant des prescriptions spéciales destinées à préserver l’environnement bâti ou naturel existant.
Cette décision, en effet, n‘est pas sans rappeler une décision de 2015 (CE, 19 juin 2015, n° 387061, Lebon T.) par laquelle le Conseil d’État avait annulé le jugement de la cour administrative d’appel de Paris en soulignant que l’office du juge de l’excès de pouvoir consiste à apprécier si l’administration a pu « légalement autoriser la construction projetée, compte tenu de ses caractéristiques et de celles des lieux, sans méconnaître les exigences [du PLU] », si bien que « dans l’exercice de ce contrôle, le juge doit tenir compte de l’ensemble des dispositions de cet article et de la marge d’appréciation qu’elles laissent à l’autorité administrative pour accorder ou refuser de délivrer une autorisation d’urbanisme ».
Plus précisément, le Conseil d’État relevait déjà que l’article UG. 11 du PLU de la Ville de Paris (également en cause dans l’affaire jugée le 13 janvier 2023), avait le même objet que l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme (R. 111-21 à l’époque des faits de l’espèce). Pour rappel, ce dernier dispose que :
« Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l’aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales. »
Sur le fondement de ces dispositions, il est donc loisible au rédacteur d’un PLU de prévoir, dans son règlement d’urbanisme, des prescriptions particulières ayant le même objet et permettant d’autoriser la construction de bâtiments différenciés au sein d’un ensemble présentant une unité architecturale au caractère particulier. Ces prescriptions peuvent, à titre d’exemple, consister en l’imposition de constructions projetées présentant un caractère innovant, de par les matériaux ou les teintes retenues, tout en exigeant à que ces mêmes constructions s’insèrent dans le tissu urbain.
Il s’agit donc ici de la faculté laissée au rédacteur du PLU de déterminer une marge de manœuvre comprise entre l’exigence de préservation d’un environnement bâti particulier voire remarquable, et le fait de favoriser des constructions innovantes, tant d’un point de vue architectural qu’environnemental.
Dans la perspective d’un contentieux, le juge administratif appréciera alors si l’autorité délivrant les autorisations d’urbanisme a pris sa décision au sein de cette marge de manœuvre en tenant compte, à la fois, de l’ensemble des dispositions du PLU mais aussi et surtout des éléments figurant au dossier de demande de permis de construire.