Avec sa décision du 25 mai 2022 (Association Territoire de Musiques, association Hellfest, Productions et société Musilac, n°451846), le Conseil d'Etat est venu poursuivre sa jurisprudence en matière de justiciabilité des actes de droit souple.
Par un communiqué de presse du 18 février 2021, la ministre de la Culture avait exprimé la position du gouvernement concernant l’organisation de festivals pour l’année 2021. Ce communiqué précisait que le gouvernement prévoyait d’interdire les festivals de plus de 5 000 personnes et d’imposer une configuration assise.
A la suite de cette annonce, les associations Territoire de Musiques et Helfest Productions ainsi que la société Musilac ont demandé au Conseil d’État d’annuler ce communiqué.
En principe, une annonce publique du gouvernement indiquant son intention d’édicter un acte règlementaire ne constitue pas, en lui-même, un acte susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.
Toutefois, le Conseil d’Etat considère qu’un recours est possible si l’annonce publique du gouvernement a pour objet d’influer significativement le comportement de ses destinataires. Dans ce cas, l’annonce permet aux administrés concernés de se préparer au futur cadre juridique auquel ils seront soumis.
Dans cette affaire, le Conseil d’Etat constate que même si le communiqué de presse de la ministre de la Culture n’a pas d’effet contraignant, il a eu pour objet de mettre en mesure les organisateurs de festivals de commencer leurs préparatifs sans attendre les décisions finalement prises.
Dès lors, même s’il n’a pas de caractère décisoire, le communiqué de presse de la Ministre est un document qui fait grief. Il est alors susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux.
Cette position du juge administratif est à rapprocher de plusieurs décisions récentes.
Ainsi, une décision de la ministre de l’Ecologie donnant instruction de ne pas verbaliser des contrevenants à la date de fermeture de la chasse, manifestée par une réponse ministérielle et un courriel ministériel interne adressé aux agents de l’ONF, avait été annulée par le Conseil d’État (CE, 29 janvier 2018, Ligue pour la protection des oiseaux, n° 407350). Les juges du Palais royal admettent effectivement qu’une décision puisse être révélée par de simples déclarations, notamment des communiqués de presse (v. CE, Ass., 4 juin 1993, asso. des anciens élèves de l’ENA, n° 138672, 138878, 138952 ; CE, sect., M. Thiébaut et .a., 28 nov. 1997, n° 156773).
De même, en 2020, les plus hauts magistrats de l’ordre administratif ont jugé recevable le recours formé contre une « note d’actualité » qui préconisait aux agents concernés de prononcer un avis défavorable pour toute analyse d’un acte de naissance guinéen au regard de « la fraude documentaire généralisée » dans ce pays (CE, sect., 12 juin 2020, GISTI, n° 418142). Eu égard aux effets notables que pouvait avoir cette « note d’actualité », un recours en annulation était recevable.
Dans une autre affaire, le Conseil d’État rappelait qu’en principe un simple communiqué de presse n’était pas en lui-même susceptible d’un recours en annulation. Toutefois, le communiqué de presse du ministre de la Justice, qui indique qu’au regard de plusieurs manquements commis par des magistrats une enquête administrative est lancée, est de nature à influer sur les conditions d’exercice des magistrats concernés (CE, 15 décembre 2021, Association de défense des libertés constitutionnelles et a., n° 444759).
Cette nouvelle décision du Conseil d’Etat constitue une nouvelle pierre à l’édifice jurisprudentiel visant à ouvrir plus largement les recours à l’encontre des actes de droit souple.