Légalité sous conditions des couvre-feux pour les mineurs

Il est ADMYS la légalité d’un arrêté préfectoral mettant en place un couvre-feu à destination des mineurs s’appliquant sur un vaste territoire et sur un laps de temps conséquent (CE, Association Lakou, 10/05/2024, n°493935).

 

Dans le cadre d’une ordonnance rendue le 10 mai 2024 (n°493945), le Conseil d’Etat eu l’occasion de clarifier sa position sur la légalité des arrêtés mettant en place un couvre-feu à destination des mineurs.

 

Ces mesures de police administrative générale interdisent aux mineurs (de 13, 15 ou 16 ans en fonction des circonstances), de circuler dans les rues la nuit seuls, sans être accompagnés d’une personne majeure.

 

A travers l’instauration de ce dispositif, les autorités de police administrative cherchent à prévenir les troubles à l’ordre public notamment en termes de sécurité et de tranquillité publiques (article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales).

 

Le régime juridique applicable aux arrêtés de « couvre-feux » à destination des mineurs a fait l’objet de nombreuses évolutions.

 

Tout d’abord, le Conseil d’État a jugé illégaux les arrêtés établissant les couvre-feux, sans pour autant se prononcer sur les atteintes à la liberté d’aller et venir des mineurs (CE, 29 juillet 1997, Préfet du Vaucluse, n°189250).

 

Puis, les juges du Palais Royal sont revenus sur leur position en affirmant que de tels arrêtés étaient légaux à la double condition que l’arrêté soit justifié par des considération d’ordre public (comme la protection de la morale des mineurs) mais aussi qu’il soit limité dans le temps et dans l’espace (CE, 27 juillet 2001, Préfet du Loiret, n°236489). Le juge administratif appliquait classiquement sa jurisprudence en matière de contrôle des mesures de police administrative. Seules les mesures limitées dans le temps et dans l’espace sont en effet admises (CE, ass., 22 juin 1951, Daudignac, n°00590 02551).

 

Enfin, le Conseil d’Etat a récemment apporté une précision sur la nature de la motivation que devait contenir l’acte. Le couvre-feu doit faire référence à  « des éléments précis et circonstanciés de nature à étayer l’existence de risques particuliers relatifs aux mineurs (…) » (CE, 6 juin 2018, Commune de Béziers, n°410774).

 

L’ordonnance rendue par la Haute Juridiction Administrative le 10 mai 2024 précise certains principes et revient sur d’autres.

 

En l’espèce, une association demandait la suspension de l’exécution d’un arrêté préfectoral mettant en place un couvre-feu, pour une durée d’un mois et sur le territoire des communes de Pointe-à-Pitre, d’une part, et de celle des Abymes, d’autre part.

 

Le juge administratif rejette la requête et affirme, dans le même temps, que l’arrêté préfectoral mettant en place un couvre-feu sur deux communes pendant 1 mois est légal. Cependant le juge des référés ajoute une précision :

 

« La légalité de mesures restreignant à cette fin la liberté de circulation des mineurs est subordonnée à la condition qu’elles soient justifiées par l’existence de risques particuliers de troubles à l’ordre public auxquels ces mineurs seraient exposés ou dont ils seraient les auteurs dans les secteurs pour lesquels elles sont édictées, adaptées à l’objectif pris en compte et proportionnées. »

 

Il illustre immédiatement son propos en fondant son argumentation sur des données statistiques, conformément aux obligations qu’il s’est lui-même fixées dans sa jurisprudence Commune de Béziers de 2018 :

 

« Il résulte des données chiffrées versées à l’instruction par le ministre, qui ne sont pas sérieusement contestées par la requérante, que les faits de délinquance générale sont en augmentation significative sur le territoire de la Guadeloupe, cette hausse étant de 18 % entre le premier trimestre 2023 et le premier trimestre 2024 pour ce qui concerne les zones de compétence de la police nationale. Entre ces deux mêmes périodes, les infractions à la législation sur les stupéfiants ont progressé de 59 %, les faits de port ou détention d’arme prohibée de 9 % et les atteintes aux biens de 30 %. Le nombre de mineurs mis en cause pour ces différentes infractions a crû de 35 %. S’agissant plus particulièrement des communes de A… et des Abymes, l’augmentation des faits de délinquance générale entre le premier trimestre de 2023 et le premier trimestre de 2024 est, respectivement, de 19 % et 26 %, celle des infractions à la législation sur les stupéfiants de 54 % et 89 % celle des faits de port ou détention d’arme prohibée de 11 % et 46 % et celle des atteintes aux biens de 35 % pour chacune des deux communes. Le nombre de mineurs mis en cause dans ces différentes infractions a progressé, entre ces deux mêmes périodes, de 53 % à A… et de 50 % aux Abymes. Il résulte également des données chiffrées produites par le ministre que plus de 40 % des faits de délinquance commis par des mineurs à A… et aux Abymes le sont entre 19h15 et 2h du matin ».

 

Enfin, le juge des référés, termine son analyse en examinant la proportionnalité de l’acte. Il affirme que la mesure « apparaît en outre adaptée à l’objectif poursuivi de limitation à brève échéance de la hausse de la délinquance et de protection des mineurs ». De même, la durée en cause d’un mois n’est pas disproportionnée car « elle pourra être levée avant le terme prévu si la situation s’améliore et qu’elle fera l’objet d’une évaluation avant tout renouvellement éventuel ».

 

A travers cette ordonnance, le Conseil d’Etat vient apposer une pierre supplémentaire au régime juridique encadrant les arrêtés établissant des couvre-feux à destination des mineurs.

 

Cet ensemble de règles, sous l’impulsion du pouvoir prétorien du juge administratif, à vocation à poursuivre son évolution. La prochaine décision à venir concerne la commune de Béziers. En effet, le maire de cette commune a pris un arrêté mettant un place un couvre-feu pour les mineurs de 13 ans sur un territoire large de sa commune du 22 avril au 30 septembre 2024. Il appartiendra au juge administratif d’apprécier la motivation de l’arrêté.