Double éclairage du Conseil d'État sur le recours aux marchés de substitution et sur le contrôle des pénalités

Par une décision du 12 avril 2023 (n°461576), le Conseil d’État est venu rappeler quelles sont les règles en matière de marché de substitution et d’appréciation du caractère excessif des pénalités imposés à un membre d’un groupement.

 

La société Art et Build Architectes avait demandé au Tribunal administratif de Strasbourg de condamner  les Hôpitaux Civils de Colmar à lui verser la somme de 804 545 euros au titre du solde d’un marché de travaux résilié pour faute par la personne publique. En parallèle de cette résiliation, les Hôpitaux Civils de Colmar avaient eu recours à un marché de substitution. Le tribunal administratif de Strasbourg avait rejeté cette demande. Par un arrêt du 28 décembre 2021, la Cour Administrative d’appel de Nancy avait annulé ce jugement mais néanmoins rejeté la demande initiale.

 

La société Art et Build Architectes s’est donc pourvue en cassation, soutenant notamment qu’une erreur de droit avait été commise par la Cour administrative d’appel en ce qu’elle avait jugé que les Hôpitaux Civils de Colmar pouvaient légalement recourir à un marché de substitution de prestation intellectuelle en l’absence de stipulations contractuelles en ce sens.

 

Dans un premier temps, le Conseil d’État rappelle que « il résulte des règles générales applicables aux contrats administratifs que l’acheteur public qui a vainement mis en demeure son cocontractant d’exécuter les prestations qu’il s’est engagé à réaliser conformément aux stipulations du contrat, dispose de la faculté de faire exécuter celles-ci, aux frais et risques de son cocontractant, par une entreprise tierce ».

 

Il précise toutefois que cette faculté peut être mise en œuvre même en dehors de « toute stipulation contractuelle ». Elle n’est par ailleurs, nullement subordonnée à une résiliation préalable du contrat par l’acheteur public.

 

La faculté de recourir à un marché de substitution conserve donc pleinement son caractère exorbitant du droit commun.

 

Cependant, cette faculté n’est pas pour autant limitée, l’acheteur public étant dans l’obligation, lorsqu’il envisage de recourir à un marché de substitution, d’en informer le titulaire et de lui permettre de présenter ses observations (CAA Marseille, 20 mars 2023, n° 21MA03334).

 

Sur ce point, cette décision fait écho à une autre décision de la Haute juridiction, du 5 avril 2023, par laquelle il a été jugé que l’acheteur public n’a pas d’obligation de transmettre, en l’absence d’une demande en ce sens du titulaire, la preuve de l’effectivité des prestations réalisées dans le cadre du marché de substitution (CE, 5 avril 2023, n°463554).

 

Enfin, le Conseil d’État est venu préciser les modalités d’appréciation du caractère excessif des pénalités infligées à un cocontractant peu diligent dans le cadre d’un groupement. En effet, selon les juges du Palais Royal : « Lorsqu’une convention, à laquelle le maître d’ouvrage est partie, fixe la part qui revient à chaque membre d’un groupement solidaire dans l’exécution d’une prestation, et lorsque le juge est saisi par l’un de ces membres de conclusions tendant à ce que soient modérées les pénalités mises à sa charge en raison des retards dans l’exécution de la part des prestations dont il avait la charge, il appartient au juge, pour apprécier leur caractère manifestement excessif eu égard au montant du marché, de prendre en compte la seule part de ce marché qui lui est attribuée en application de cette convention. »

 

Cette décision vient donc préciser et compléter l’office du juge en la matière, dont on sait déjà qu’il consiste à pouvoir moduler les pénalités de retard infligé à un cocontractant (CE, 29 décembre 2008, n°296930, OPH de Puteaux ; voir également en ce sens CE, 19 juillet 2017, n°392707, Société GBR Ile-de-France).

 

Le contrôle du montant des pénalités n’est donc plus uniquement vertical, mais également horizontal dans le cadre des groupements, puisque le montant des pénalités doit être circonscrit à la part qui revient à chaque membre de ce groupement dans l’exécution de la prestation.