Dans le silence du CG3P, le délai de droit commun s'applique en matière de prescription des indemnités d'occupation irrégulière du domaine public

Il est ADMYS qu’en application de l’article 2224 du Code Civil, la prescription des actions en réparation pour occupation domaniale illégale est quinquennale « à compter de la date où le gestionnaire du domaine public a eu ou devait avoir connaissance de cette occupation irrégulière ».

 

Par une décision rendue le 15 avril 2024, le Conseil d’État a indiqué que la personne gestionnaire du domaine public occupé pouvait obtenir, en sus de l’expulsion des occupants sans titre du domaine, une indemnité au titre de l’occupation illégale à compter du jour où il a eu ou aurait dû avoir connaissance de l’occupation, dans la limite de la prescription quinquennale de droit commun.

 

En l’espèce, la SNCF avait conclu avec une société un contrat relatif à l’occupation et à la desserte d’une parcelle située sur l’emprise d’une gare. Cette société avait elle-même conclu en 2007 un contrat de sous-occupation avec M. B (a priori, sans l’accord de la SNCF), l’autorisant à occuper gratuitement un atelier sur ce terrain. Par un procès-verbal en date du 25 juillet 2019, la SNCF a constaté cette occupation sans droit ni titre de M. B et a sollicité son expulsion sous astreinte (ainsi que celle d’autres occupants irréguliers) devant le Tribunal administratif de Melun.

 

La procédure étant relativement classique jusqu’à présent, il faut noter que la SNCF sollicitait aussi la condamnation de M. B à lui payer la somme de 380.800,00€ au titre des indemnités d’occupation sans droit ni titre dues pour la période du 1er janvier 2014 à la date du jugement.

 

Le TA de Melun a enjoint l’expulsion et la restitution des clés et a condamné les occupants sans titre au versement de la somme de 173.275,97 euros au titre des indemnités d’occupation sans droit ni titre dues pour la période du 1er janvier 2014 à la date du jugement. En appel, la Cour administrative d’appel de Paris a réduit l’indemnité à la somme de 115.982,02€, payables dans les mêmes conditions.

 

Dans le silence du CG3P concernant la prescription des indemnités pour occupation irrégulière du domaine public, il revenait au Conseil d’État de se prononcer sur le point de départ et sur le délai de prescription applicable à ces créances.

 

Pour ce faire, la Juridiction distingue les règles de prescription applicables aux redevances d’occupation du domaine public (ci-après « RODP ») et celles relatives aux indemnités d’occupation sans titre du domaine public.

 

Alors que les RODP se prescrivent par cinq ans à compter du début de chaque période annuelle (article L. 2125-4 et article L. 2321-4 du Code général de la propriété des personnes publiques, « CG3P »), le CG3P ne précisait pas le point de départ du délai de prescription des indemnités dues pour occupation irrégulière du domaine public.

 

Dans ce contexte, le Conseil d’État a, d’une part, précisé que les indemnités d’occupation sans titre du domaine public sont exigibles au terme de chaque journée d’occupation irrégulière.

 

Cette plus stricte exigibilité résulte du caractère fautif de l’occupation sans titre du domaine public, laquelle oblige l’occupant à réparer le dommage causé de ce fait au gestionnaire du domaine (l’article L. 2122-2 du CG3P). A ce titre, « l’autorité gestionnaire du domaine public est fondée à réclamer à l’occupant sans droit ni titre de ce domaine, au titre de la période d’occupation irrégulière, une indemnité compensant les revenus qu’elle aurait pu percevoir d’un occupant régulier pendant cette période. Cette indemnité devient exigible au terme de chaque journée d’occupation irrégulière ». Ce principe n’est pas nouveau et se veut dissuasif de toute occupation irrégulière (voir par exemple CE, 12 février 2015, Voies navigables de France, req n°366036).

 

Au besoin, le Conseil d’État relèvera au point 12 de sa décision que l’inertie de la personne publique à faire cesser l’occupation irrégulière est également fautive et peut atténuer la responsabilité de l’occupant sans titre.

 

D’autre part, dans le silence du CG3P sur le point de départ de l’action en réparation du préjudice subi du fait de l’occupation irrégulière du domaine public, le Conseil d’État estime qu’il y a lieu de faire application du délai quinquennal de droit commun, qui court à compter « du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » (article 2224 du Code Civil).

 

Dès lors, les actions tendant à obtenir la réparation du préjudice subi du fait de l’occupation irrégulière du domaine public se prescrivent par cinq ans à compter « de la date à laquelle le gestionnaire du domaine public a eu ou devait avoir connaissance de cette occupation irrégulière ». Il y a également lieu de faire application des règles de droit commun s’agissant de l’interruption de la prescription.

 

En application de ce principe, le délai de prescription court en l’espèce à compter de la date à laquelle la SNCF a eu connaissance de l’occupation, c’est-à-dire à la date du procès-verbal constatant l’occupation irrégulière, et non à compter de la date de début de ladite occupation. Ainsi, la demande de la SNCF tendant à son indemnisation au titre de l’occupation sans titre de la parcelle occupée en 2014 est prescrite.

 

Cette décision est intéressante à bien des égards.

 

Du point de vue de la protection du domaine public, elle rappelle que son occupation privative est soumise à autorisation, laquelle demeure précaire, révocable et limitée dans le temps.

 

En termes de gestion domaniale, elle confirme que l’autorisation d’occupation du domaine est un outil de valorisation et de bonne gestion des propriétés publiques.

 

Elle témoigne également d’un mouvement tendant à la responsabilisation des gestionnaires du domaine public, en les incitant à la plus grande vigilance quant à la surveillance de leur domaine public, en limitant dans le temps la possibilité d’obtenir une indemnité en cas d’occupation irrégulière.