Communication des motifs de rejet : très tard (15 mois tout de même...) n'est pas trop tard !

Il est ADMYS qu’aucun manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence ne peut être soulevé à l’encontre d’un acheteur qui informe un soumissionnaire des motifs du rejet de son offre quinze mois après la décision d’attribution du marché public, lorsque ce dernier a disposé de l’ensemble des informations requises par le Code de la commande publique avant que le juge du référé précontractunel n’ait statué.

 

C’est à l’occasion de sa récente décision du 27 septembre 2024, Région Guadeloupe, req n°490697, que le Conseil d’État a posé ce principe.

 

La position de la Haute juridiction pourrait surprendre, à première vue, tant les dispositions du Code de la commande publique (« CCP ») semblent écarter toute ambiguïté rédactionnelle.

 

En effet, une lecture combinée des articles L.2181-1 et R.2181-1 du CCP impose explicitement à l’acheteur de notifier, sans délai, aux candidats et aux soumissionnaires sa décision de rejet.

 

L’acheteur doit, par ailleurs, en application de l’articles R.2181-3 du code précité, mentionner dans sa décision les motifs de rejet de la candidature ou de l’offre, ainsi que le nom de l’attributaire et les motifs qui ont conduit au choix de son offre lorsque, dans ce dernier cas, la notification intervient après l’attribution.

 

Une application stricte de ces dispositions commande à l’acheteur d’informer les candidats ou soumissionnaires du rejet de leur candidature/offre dans un laps de temps très court à compter de la prise de décision.

 

Toutefois, en ce qui concerne le bref délai laissé à l’acheteur, le Conseil d’État dépasse cette vision littérale pour rechercher la finalité de ces dispositions.

 

Il retient, ainsi, que « l’information sur les motifs du rejet de son offre dont est destinataire [le candidat ou le soumissionnaire] en application des dispositions précitées a, notamment, pour objet de permettre à [celui-ci] de contester utilement le rejet qui lui est opposé devant le juge du référé précontractuel saisi en application de l’article L.551-1 du code de justice administrative » (considérant 4).

 

En conséquence, il en déduit que le manquement de l’acheteur à ses obligations de transparence et de mise en concurrence n’est pas matérialisé dès lors que le candidat ou le soumissionnaire avait les informations nécessaires pour former un recours contentieux en temps utile, sans se préoccuper de savoir si l’acheteur a respecté strictement le bref délai prévu au CCP :

 

« Il ne résulte ni des dispositions [précitées], ni de la finalité de la communication des motifs de rejet de l’offre rappelée [précédemment], que le délai écoulé entre la décision d’attribution du marché et l’information d’un candidat évincé du rejet de son offre serait susceptible, à lui seul, de constituer un manquement de l’acheteur à ses obligations de transparence et de mise en concurrence » (considérant 5).

 

Ainsi, le Conseil d’État neutralise l’exigence d’un bref délai prévue par le CCP, pour ne veiller qu’à la préservation d’un délai suffisant permettant à un candidat ou soumissionnaire évincé d’utilement contester son éviction :

 

« Cependant, un tel manquement n’est plus constitué si l’ensemble des informations, mentionnées aux articles du code de la commande publique précédemment cités, a été communiqué au candidat évincé à la date à laquelle le juge des référés statue sur le fondement de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, et si le délai qui s’est écoulé entre cette communication et la date à laquelle le juge des référés statue a été suffisant pour permettre à ce candidat de contester utilement son éviction » (considérant 4).

 

Cette récente décision a l’avantage de détailler le raisonnement juridique imposé au juge administratif pour déterminer l’existence d’un manquement de l’acheteur à ses obligations de transparence et de mise en concurrence au stade de la notification du rejet de la candidature ou de l’offre.

 

Elle est assurément protectrice de l’acheteur, qui sans respecter le délai imposé par les dispositions du Code de la commande publique, n’encourt pas systématiquement la censure de ses actes. Cependant, elle induit, implicitement mais nécessairement, une vigilance et une incertitude :

  • les acheteurs sont dans l’obligation de veiller à la bonne communication de l’ensemble des informations sollicitées par le CCP, a minima, avant que le juge du référé précontractuel ne se prononce, dans le respect d’un délai suffisant pour permettre une contestation utile de l’éviction ;
  • faisant fi de l’exigence d’une notification « sans délai » prévue à l’article R.2181-1 du CCP, la Haute juridiction instille une incertitude, source de contentieux, puisqu’elle permet à l’acheteur de notifier les motifs du rejet bien après la prise de décision. Le débat se portera alors d’une part sur la complétude des informations communiquées, et d’autre part sur la suffisance du délai entre cette communication et la date à laquelle le juge des référés statue. 

 

En tout état de cause, nous conseillons aux acheteurs de respecter scrupuleusement la lettre de l’article R.2181-1 du CCP en notifiant, sans délai, le rejet et ses motifs pour écarter tout recours contentieux contestant la validité de la procédure de passation.