Les décisions de déclasser un bien du domaine public puis de le vendre à un tiers ne forment pas une "opération complexe"

Il est ADMYS que la décision de déclassement d’une parcelle relevant du domaine privé d’une commune et la décision de le céder à un tiers sont deux décisions indépendantes, ne formant pas une « opération complexe ».

 

Un requérant avait saisi le Tribunal administratif de Rennes aux fins de l’annulation d’une délibération de la Commune de Thorigné-Fouillard autorisant la vente d’une parcelle à une société. Le Tribunal administratif avait fait droit à cette requête (TA Rennes, 26 septembre 2022, n° 2002169) et annulé la délibération du Conseil municipal sur le fondement des articles L. 2121-13 et L. 2241-1 du Code Général des Collectivités Territoriales (« CGCT »).

 

En effet, la juridiction de première instance avait considéré que le fait que la teneur de l’avis des domaines n’ait pas été communiquée aux élus avait privé ces derniers d’une information complète au sens de l’article L. 2121-13 du CGCT précité.

 

En premier lieu, cependant, la Cour administrative d’appel de Nantes, saisie d’un appel interjeté par la société acquéreuse de la parcelle, censure cette motivation.

 

Elle procède en effet à une originale application de la jurisprudence Danthony (CE, 23 décembre 2011, n°305033) en considérant que l’absence de communication de la teneur de l’avis du service des domaines ne constituait pas une garantie pour les conseillers municipaux et n’avait, en tout état de cause, pas eu d’influence sur le sens de la décision prise, dès lors que le prix retenu par le conseil municipal étant le même que celui estimé par France Domaine.

 

D’ordinaire, la jurisprudence Danthony cherche à garantir un équilibre entre exigence de légalité, prévalence de l’action administrative et intérêts du justiciable. Pour autant, la Cour administrative d’appel de Nantes neutralise au cas présent l’irrégularité relevée en considérant cette fois que c’est l’auteur de la décision qui n’a pas été privé d’une garantie, ce qui semble constituer une application à front renversé de cette méthode juridictionnelle (et dont il est permis de s’interroger sur sa pertinence).

 

En second lieu, saisie de l’ensemble du litige en raison de l’aspect dévolutif de l’appel, la Cour administrative d’appel était invitée à se prononcer sur la possibilité de faire usage du mécanisme dit de l’exception d’illégalité au cas d’espèce.

 

En effet, le requérant contestait la légalité de la décision de cession au motif que le déclassement de la parcelle était irrégulier (alors qu’il s’agissait d’une décision antérieure, distincte et définitive de celle contestée). La Cour administrative d’appel n’adhère pas à cette démonstration et écarte le moyen, rejetant toute contestation par voie d’exception de la décision de déclassement.

 

Si ce mécanisme se rencontre fréquemment dans le cas de recours dirigés contre des décisions administratives individuelles, permettant de contester la légalité des dispositions réglementaires qui constituent la base légale de ces décisions, son application à une succession de décisions à caractère non réglementaire est plus rare.

 

Dans ce cas, l’exception d’illégalité n’est admise qu’en présence d’une « opération complexe », théorie prétorienne qui désigne un ensemble de décisions successives spécialement prévues pour la réalisation d’une seule et même opération (CE, 9 novembre1966, Toumbouros, n° 58903).

 

Tel sera à titre d’exemple le cas d’une déclaration d’insalubrité d’un immeuble suivie d’un arrêté de cessibilité en vue de son expropriation pour cause d’utilité publique (CE 20 mars 2015 Société Urbanis aménagement, n° 371895).

 

Or, la Cour administrative d’appel de Nantes considère dans cette affaire que la sortie d’un bien du domaine public puis sa cession à un tiers ne constituent pas une opération complexe. En ce sens, ces décisions sont pleinement indépendantes.

 

A l’occasion de cet arrêt, la CAA propose une illustration intéressante de deux mécanismes jurisprudentiels : d’une part, la neutralisation d’un vice de forme qui n’a pas privé l’auteur de la décision d’une garantie, en application de la jurisprudence Danthony et, d’autre part, des précisions sur le contentieux des cessions de parcelles relevant du domaine privé des personnes publiques. En ce sens, ces décisions sont pleinement indépendantes.