Une législation indépendante au droit de l'urbanisme peut être utilisée pour déterminer la qualification d'une construction

Dans un nouvel arrêt rendu le 17 janvier 2024 en formation de chambres réunies et mentionné aux tables du recueil Lebon, le Conseil d’État a jugé qu’une unité de méthanisation pouvait être considérée comme un bâtiment d’exploitation agricole par référence à la définition donnée par l’article L. 311-1 du Code rural, une législation indépendante au droit de l’urbanisme.

 

En l’espèce, par un arrêté du 1er décembre 2021, le préfet d’Ille-et-Vilaine avait délivré à une société un permis de construire, portant sur une unité de méthanisation sur le territoire de la Commune de Bourg-des-Comptes.

 

Le règlement du plan local d’urbanisme (PLU) imposait pour les nouveaux bâtiments une marge de recul de 50 mètres minimum par rapport à l’axe de la voie publique, avec toutefois une exception pour les « bâtiments d’exploitation agricole ».

 

Le lexique du règlement reprenait la définition de l’activité agricole telle que fixée par l’article L. 311-1 du Code rural et de la pêche maritime (CRPM). Cette disposition assimile la production de méthane à une activité agricole, sans que ce passage ne soit toutefois repris dans le lexique.

 

Le permis de construire délivré par le préfet exemptait le projet de cette règle de recul, considérant l’unité de méthanisation comme un bâtiment d’exploitation agricole.

 

Saisi par plusieurs riverains, le juge des référés du Tribunal administratif de Rennes avait opposé le caractère inopérant des moyens tirés de la méconnaissance des articles du CRPM, au nom du principe d’indépendance des législations. En vertu de ce principe, la légalité des autorisations délivrées au titre d’une législation ne peut pas être contestée sur le fondement d’une autre législation. Il avait ainsi considéré que les dispositions du CRPM n’étaient « pas au nombre de celles que peut prendre en compte l’autorité administrative lorsqu’elle se prononce sur l’octroi d’une autorisation délivrée en application de la législation sur l’urbanisme ».

 

Dans un second temps, reprenant la définition posée par le lexique – sans se référer donc à l’article L. 311-1 du CRPM –, il a considéré que l’unité de méthanisation projetée n’était pas, d’un point de vue fonctionnel, directement nécessaire aux besoins de l’exercice d’une activité agricole et ne pouvait donc pas être regardée comme un bâtiment d’exploitation agricole, mais comme un bâtiment d’intérêt collectif, « eu égard à ses caractéristiques et à la finalité que poursuit le processus de méthanisation ».

 

Il a ainsi considéré que le non-respect de cette marge de recul était propre, en l’état de l’instruction, à faire naitre un doute sérieux quant à la légalité de la décision et a suspendu l’arrêté litigieux jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur sa légalité.

 

Saisi d’un pourvoi en cassation par la société pétitionnaire et le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires contre cette ordonnance, la question posée au Conseil d’Etat portait donc sur le point de savoir si l’unité de méthanisation pouvait bénéficier de l’exception aux règles de recul prévue par le règlement du PLU, et notamment si la définition donnée par le lexique de ce règlement pouvait être complétée au regard d’une législation indépendante au droit de l’urbanisme, à laquelle le lexique ne fait pas référence explicitement.

 

La Haute juridiction administrative répond de manière positive, en considérant que le juge des référés de première instance aurait dû certes se référer à la définition d’exploitation agricole qu’en donne le lexique du règlement du PLU, mais en s’éclairant toutefois des dispositions du CRPM, selon lesquelles la méthanisation peut être assimilée à une activité agricole. Il annule ainsi l’ordonnance pour erreur de droit et rejette la demande de suspension des riverains.

 

Par cet arrêt, le Conseil d’État admet ainsi qu’une législation indépendante au droit de l’urbanisme puisse être utilisée pour éclairer le juge administratif dans la qualification d’une construction, au regard du règlement du PLU. Pour cela, le règlement doit faire référence, de manière explicite ou implicite, à la disposition de cette législation dans son lexique.