Par une décision en date du 26 octobre 2023 (n°474464), le Conseil d’Etat a relativisé la force obligatoire du règlement de la consultation sur la question de la date butoir de transmission des attestations fiscales et sociales de l’attributaire pressenti. Selon lui, la circonstance que le règlement de la consultation fixe un délai plus contraint est sans incidence sur l’appréciation de la lésion du candidat évincé, pourvu que l’acheteur dispose de ces documents à la signature du contrat.
Les faits se sont déroulés aux portes de notre Cabinet strasbourgeois. La Ville de Strasbourg a engagé une procédure de négociation en vue de la passation d’un marché de maîtrise d’œuvre portant sur la restauration de l’église protestante Saint-Pierre-Le-Jeune située sur son territoire. Aux termes d’une procédure qui s’est déroulée sans encombre, le groupement conjoint dont la Société « 1090 architectes » est mandataire a été déclaré attributaire. Mécontent de cette décision, le candidat classé en deuxième position a saisi le juge du référé précontractuel du Tribunal administratif de Strasbourg, en sollicitant l’annulation de l’intégralité de la procédure à l’appui de nombreux moyens.
Au sein de l’ordonnance du 9 mai 2023 (n°2302706) par laquelle le Tribunal a méticuleusement étudié toutes les prétentions du requérant, la procédure a été annulée en raison de la tardiveté de la remise au pouvoir adjudicateur des attestations et certificats prévus par les articles R. 2143-6 à R. 2143-10 du Code de la commande publique (ci-après « CCP »).
C’est ce moyen qui retiendra notre attention.
En l’espèce, ces documents avaient été transmis à la Ville par le groupement attributaire au stade de sa candidature. Puis, les versions à jour des documents dont la validité avait expiré ont été présentées à l’acheteur durant les semaines suivant la décision d’attribution, soit au-delà du délai de 6 jours prescrit par l’article 8.2 du règlement de la consultation.
Au soutien du caractère « obligatoire [du règlement de la consultation] dans toutes ses mentions » (voir le point 16 du jugement), le juge des référés a indiqué que :
« La méconnaissance des prescriptions de l’article 8.2 du règlement de la consultation fait obstacle à ce que le marché lui soit attribué. Sauf à priver d’effet les dispositions de l’article 8.2, qui plus est en portant atteinte au principe d’égalité de traitement des candidats, ce manquement ne saurait être corrigé dans le cadre de la procédure de passation en litige ».
L’annulation de la procédure semblait ainsi, en toute logique, s’imposer. Telle n’a pourtant pas été la position du Conseil d’État, saisi d’un pourvoi contre cette ordonnance par la Ville de Strasbourg.
S’agissant du moyen à l’étude, le Conseil a tout d’abord rappelé que les documents requis par le CCP et le Code du travail, permettant au candidat d’attester qu’il est bien à jour de ses obligations fiscales et sociales doivent être produites « avant la signature du marché », sous peine d’être écarté de l’attribution. Surtout, il en a déduit que la transmission de ces documents dans un délai excédant les termes des dispositions contractuelles mais conformes aux prescriptions légales n’avait pas eu d’incidence sur la lésion du requérant « dès lors qu’il est constant que ces documents attestant que les membres du groupement attributaire étaient à jour de leurs obligations fiscales et sociales avaient été transmis avant la signature du marché ».
Pour rappel, la « lésion » est une notion clé de la recevabilité du référé précontractuel et sa définition a été précisée depuis la décision « SMIRGEOMES » (CE, 3 octobre 2008, req n°305420).
Désormais, tout requérant prétendant à engager un tel recours doit démontrer comment le manquement invoqué l’a lésé, ce qui nécessite pour le juge « de rechercher si l’entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l’avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente » (CE, 11 avril 2012, Syndicat Ody 1218 Newline du Lloyd’s de Londres, req n°354652).
Il ressort donc de la décision à l’étude que la date à laquelle les attestations fiscales et sociales de l’attributaire est totalement indifférente du seul point de vue de la lésion du candidat évincé, pourvu que l’acheteur ait été en mesure de les étudier avant la signature du contrat. Cette décision témoigne d’une approche de la commande publique toujours plus pragmatique par les juridictions administratives, qui tend également à réduire peu à peu le champ des moyens invocables par les candidats évincés à l’occasion du référé précontractuel.
Toutefois, « absence de lésion » et « irrégularité de la procédure » ne doivent pas être confondues dans le cadre du référé précontractuel et la décision à l’étude ne signifie pas pour autant que le délai requis par le RC serait seulement indicatif du point de vue de la pure légalité de la procédure. Autrement dit : cette décision n’a ni pour objet, ni pour effet, de contredire le caractère contraignant du règlement de la consultation dans toutes ses mentions.
Celui-ci demeure, y compris s’agissant du délai de présentation des attestations fiscales et sociales des entreprises, à peine d’irrégularité de la candidature.
Les acheteurs publics sont appelés à la plus grande vigilance pour s’assurer du respect de ce principe, et au plus grand pragmatisme pour veiller à une rédaction mesurée des termes des documents contractuels.